Dans ce bar...

Thème impromptus de la semaine. J'en profite pour expérimenter une nouveauté, illustrer les textes "impromptus". Premier essai donc. Manuscrit dans l'album.

Et alors…dans ce bar?

Mon café, ce n’est pas un café.
Mon bar, ce n’est pas un bar.
D’ailleurs.

Ce n’est qu’un espace indéfini, au croisement de couloirs, vaguement triangulaire. Trois tables et quelques tabourets hauts, une fontaine, un distributeur de boissons chaudes, un de friandises et un de sodas. Une plante verte et un téléviseur diffusant des images à la gloire de la société complètent le décor. La lumière y vient d’ampoules halogènes disséminées dans le faux plafond, de quelques appliques poussiéreuses ainsi que des cloisons en verre dépoli d’un bureau et d’une salle de réunion.

Mon bar, ce n’est pas un bar. C’est un espace.
Non point : une surface, une quantité, quelques mètres carrés concédés comme à contre cœur, un passage, lieu de socialisation et soupape de sécurité.

Oui, mon bar, ce n’est pas un bar, c’est le petit bouchon de l’autocuiseur, celui qui canalise le jet de vapeur lorsque la pression dans le récipient dépasse un seuil admissible.

Dans mon bar, il n’y a pas le bruit du percolateur, il n’y a pas le tintement des tasses dans les soucoupes, ni celui des cuillers de métal sur la céramique : mon bar, c’est plastique transparent contre plastique blanc, ou marron, ou décoré de sapins à l’approche de Noël.

Dans mon bar, il y a sonnerie déplaisante de la machine qui a fini son ouvrage, exige le retrait de la production, celle que je tiens dans ma main par exemple, afin de traiter le consommateur suivant, il y a le ronflement de la ventilation, et le murmure lointain de la circulation, qui couvrent le chant du vent dans les arbres que l’on voit bouger sans les entendre et le clapotis du fleuve qui miroite pour personne.

Mais mon bar est un peu un bar :  il y a ces âmes égarées qui y dissèquent le monde, y dénouent d’improbables ou sordides intrigues, dissèquent les rumeurs et les réseaux avant d’en tisser d’autres.

Mon bar, c’est un coin café d’entreprise, pas plus inhumain qu’un autre, banal dans sa médiocrité ordinaire, ses commentaires, ses ambitions, ses connivences et ses vieilles rivalités.

Et alors ?

Dans ce bar, j’y traîne mon ennui et mon amertume.
Et je m’y attable, une feuille et un stylo, pour y arracher quelques lignes de liberté…