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MC Jaume
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8 novembre 2005

Il posa son doigt sur l'interrupteur...

La livraison (quasi) hebdomadaire pour Coïtus Impromptus. Le texte de cette semaine doit commencer par "Il posa son doigt sur l'interrupteur". J'ai donc écrit assez vite, dès hier matin, cette histoire de gens qui appuient sur un interrupteur, un jeu de destins croisés qui finissent dans la même impasse. Un texte dans l'air du temps.

Il posa son doigt sur l'interrupteur.
Comme d’habitude.
D’abord, rien ne se produisait. Puis, un grésillement, un sifflement, quelques vibrations.

Un premier tube au néon s’allumait, au loin, puis un autre, plus près. Petit à petit, la salle prenait vie. Au bout de quelques secondes, il ne restait plus qu’un ou deux récalcitrants à fonctionner par intermittence en émettant des bruits inquiétants, avant qu’enfin à température, ils daignent se stabiliser.
Alors, il contemplait le résultat de son action en apparence anodine, l’idée d’un sentiment de puissance lui traversait l’esprit avant que la raison ne le rappelle à l’ordre et lui fasse prendre pleinement conscience qu’il ne venait somme toute que d’allumer la lumière du bureau.

Il posa son doigt sur l’interrupteur.
Vérifia d’un coup d’œil où en était son coéquipier. Lui aussi avait relevé la sécurité, ce capot rouge et jaune qui recouvrait le logement du bouton, et maintenait son majeur en lévitation quelques millimètres au-dessus du contact.
Puis, son regard revint vers les écrans devant lui. Une théorie de symboles dansait sur une carte. Sur un autre, des schémas s’animaient, et dans une fenêtre, l’image irréelle d’un paysage vu en infrarouge se déplaçait doucement. Il la suivit un instant, puis revint à la carte. Un symbole se déplaçait régulièrement en suivant un itinéraire dessiné en pointillés jaunes, s’approchant inexorablement d’un triangle rouge. A quelque distance, le triangle s’anima, entouré maintenant d’un polygone clignotant. Lorsque le symbole franchit la limite du polygone, un son aigu retentit. Sur tous les écrans, cinq lettres rouges apparurent simultanément. « SHOOT ».  Les deux opérateurs ne le quittèrent pas des yeux, jusqu’à ce qu’un liseré vert l’entoure. Ensemble, ils enfoncèrent les interrupteurs.

A soixante kilomètres de là, une trappe s’ouvrit dans le ventre d’un drone, et le missile tactique prit vie.

Il posa son doigt sur l’interrupteur.

Il n’appuya pas tout de suite. Il savait à l’avance ce qu’il allait découvrir et la perspective ne l’enchantait pas.
Il n’appuya pas. Jeta sa veste, claqua la porte, se laissa tomber sur le canapé. Télécommande. La présentatrice du journal de vingt heures avait troqué son habituel décolleté pour un tailleur plus sombre. Là bas, au loin, une frappe tactique de haute précision venait de raser le complexe secret où un régime politique honni s’avisait de construire une « arme de destruction massive ».

Il posa son doigt sur l’interrupteur.

Mais il suspendit son geste.
Comme un pressentiment.
Sans doute vit-il le missile passer devant sa fenêtre, mais cette vision eut-elle le temps de l’effrayer ? Son geste resta en suspens pour l’éternité. Le flash de l’explosion imprima sa silhouette sur le mur du bureau, le bras posé sur la lampe d’architecte.

Il posa son doigt sur l’interrupteur.
Bon soutier de l’industrie, il avait toujours servi son employeur consciencieusement. On lui avait demandé de travailler sur un missile de croisière, il l’avait fait. Sur un drone, il l’avait fait. De superviser l’adaptation d’une arme nucléaire sur ce drone, il l’avait fait aussi. Presque de bonne grâce. Il connaissait le principe de la dissuasion, ce n’était somme toute qu’une gesticulation, que de l’exhibition de biceps, en quelque sorte. Et là, il voyait le ministre de la défense se rengorger de l’action définitive qui avait permis de supprimer la menace que faisait peser sur la paix ce régime dict…Il appuya sur l’interrupteur du téléviseur, coupant net la péroraison. Il sortit sur son balcon ; l’air frais ne suffisait pas à le libérer de son oppression. Vingt étages plus bas, la dalle de béton l’invitait à l’oubli.

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MC Jaume
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