J’ai rajouté un peu de sel.

Texte pour Coïtus Impromptus.

Je me souviens fort bien du jour où ça a basculé. C’était un matin d’été, je venais de terminer le petit déjeuner. La radio diffusait une version latinisante des « feuilles mortes », mais le goût envahissant du dentifrice m’obsédait et m’empêchait de l’écouter. J’ôtai mon pyjama, l’accrochai à la patère et allai à la commode chercher un sous vêtement. C’est là que l’Incident se produisit. Je venais d’opérer un quart de tour, habituel, lorsque le miroir me renvoya une image qui me laissa sans voix. C’était moi, ça ? soixante kilomètres de course à pied par semaine, cent de vélo, cent cinquante pompes par jour…tout ça pour ces hanches avachies sous le poids d’une confortable bouée, cette bedaine flasque ?
Je décidai d’agir.
J’étudiai attentivement, dans la presse spécialisée, les stratégies optimales pour en finir avec ce physique immonde. Je m’efforçais de compiler les meilleurs conseils, mouvements, transcrivant les remarques comme « pour le corps, rien ne vaut un shake de whey protéiné avant et après l’entraînement », ce qui me laissait rêveur. Et surtout, je finis par céder aux tentations de ces torrents de publicités qui, entre les photos des Ronnie Coleman, Jay Cutler, ou Günter Schlierkamp dans toute leur démesure, expliquaient que je pouvais apprendre « à contrôler cette hormone catabolisante », les avantages indispensables de la créatine, de la carnitine, du « hardcore fonte des graisses ».
Je découvris que je pouvais même « stimuler naturellement la production d’hormone de croissance ». C’en était trop ! je voulais les abdos de Warren F., tout de suite ! Mon amex fuma sur internet, après quelques heures supplémentaires de choix attentifs.
Les deux jours suivants furent interminables, et j’accueillis le coursier de Fedex comme le messie. Triai les boîtes comme le pharmacien d’un hôpital, préparai les dosages. Pilules, gelules, et avalai enfin le premier shake miracle.
C’était franchement fadasse, en fait. J’ai grimacé, et j’ai rajouté un peu de sel.