Jeu Musical

Les impromptus nous demandaient cette semaine de pousser une histoire avec une référence à une chanson. Celle-ci est assez évidente.

Je devrais dormir.

Et cependant, je suis vautré à plat ventre sur le canapé, une feuille de papier pliée en deux près de mon visage, sur laquelle j’écris sans bien distinguer les mots que je trace car, n’ayant pas mes lunettes, seule la fin de la ligne se trouve à une distance de mes yeux compatible avec leur profondeur de champ.

Au loin, encadré par trois figurines représentant Gaston Lagaffe, un petit sapin de plastique piqué de fibre optique pulse doucement des couleurs de l’arc en ciel, seule concession décorative aux fêtes qui approchent. Je ne tarde pas à laisser mon manuscrit pour contempler le parquet de la salle de séjour, m’interrogeant sur l’absence de nostalgie des frénésies passées, tout en souriant attendri au souvenir d’une maison de village blottie au pied d’une falaise couronnée d’une tour sarrasine, pleine de bruit et de désordre.

Je fredonne à voix basse un air d’alors, l’une des chansons que nous reprenions plus ou moins en chœur, moi niché dans la grande cheminée à alimenter la flambée, mémorisant peu à peu les paroles, corrigeant d’une exécution l’autre des méprises, tiens bon la vague et non la barre, rêvant que sous les torrents du Dévoluy pris par le gel gisaient peut-être, enfouies dans le gravier, de ces pépites d’or grosses comme le poing dont on fait des lingots.

Je sens presque l’odeur de cendre et de résine de conifères qui imprègne cette salle voutée ou trône une horloge à poids dont l’échappement résonne chaque seconde. Et dans le souvenir des reflets de cuivre du balancier, je songe que je n’ai toujours pas écouté la Sinfonietta de Janáček. 

Montmaur par Aups (Travail personnel) [GFDL or CC-BY-SA-3.0-2.5-2.0-1.0], via Wikimedia Commons