Dans la poche arrière de son jean...

Texte pour Coïtus Impromptus...

Un bout de papier chiffonné dans la poche arrière de son jean.

Quel crétin ce Pervez. Depuis un quart d’heure qu’il jouait au con, il était prévisible qu’il s’en prenne une. Et ils ne l’ont pas raté. Je n’ai rien pu faire d’autre que le regarder agoniser les tripes à l’air.
Bon. Notre problème, maintenant que ce n’est plus le sien. Je suis cloué dans ce trou par une douzaine de tchétchènes, à voir comme ils tirent juste, depuis leur fortin de terre. Les deux supplétifs tirent posément, avec sang-froid, mais dans la plus totale inefficacité.
Je sors mon PDA, localise le fortin sur une photo satellite, je crée un pattern de tir et une requête d’appui que j’envoie.
J’attends, indifférent aux balles qui continuent à siffler de temps à autre.
Bip bip. Le frag order est acquitté, j’ai quelques minutes à attendre qu’un avion soit sur zone. Je me cale confortablement, tire de la poche arrière de mon jean un petit papier, un dessin de ma fille, une sorte de cow-boy des montagnes, sous lequel une main malhabile a écrit « mon papa ». Depuis trois semaines que je traque les portes-flingues d’Al Qaida dans ce coin d’Afghanistan, il n’a pas quitté ma poche. Je suis même surpris de sa résistance.
Bip bip. On target dans trois minutes. Tout passe par liaison de données maintenant, c’est beau la technologie, mais au moins, entendre la voix du pilote qui vous sortait de la mouise était plus humain. Bon.
Je mets l’illuminateur en marche, le glisse à travers un trou du muret. Je balaie le petit bâtiment dans le viseur, pour porter mon choix sur une porte.
« Toujours entrer par la porte, en frappant juste un coup avant… » Ca me fait sourire.
Bip bip. Une minute. Je balaie rapidement les alentours. Deux enfants courent au ras d’un muret, et l’un d’eux, se glissant par une brèche, longe le mur. Il a quatre ou cinq ans.
Sait-il écrire « papa » ? a-t-il laissé un dessin qui traînerait dans une poche ?
Bip bip. Le gamin se glisse derrière la porte. Dix secondes. En fait je m’en fous.
Je repointe l’illuminater.
Biiiiip. Prolongé. Je perçois le moteur du F16 qui dégage. Je ne quitte la porte des yeux que lorsque la chaleur de l’explosion de la bombe guidée laser sature l’imageur infrarouge.
Mes deux supplétifs foncent dans les ruines en tirant.
Je me fous des mômes, comme de ce bout de papier chiffonné qui me brûle la peau à travers la toile de mon jean.