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MC Jaume
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10 mai 2005

Roger au moi de mai

Un petit texte écrit pour Coitus Impromptus :

Nous étions trois amis, dans ce bataillon de tirailleurs Corses de la division Claparède. Michel Pozzi et son frère Roger, et moi, Henri Pozzi. Nous étions peut-être vaguement cousins, je n’en sais rien, le hasard de l’armée nous avait rapprochés/
Nous battions la campagne pour l’Empereur depuis quelques semaines et jusqu’alors, nous étions passés sans heurts à travers cette guerre.
Alors, quand Masséna nous a envoyé prendre Ebersberg, le 3 mai, nous sommes partis confiants.
Si nous avions su… Claparède  a envoyé les tirailleurs du Pô en tête, et les autrichiens les ont massacrés sur place. Lorsque notre compagnie s’est engagée sur le pont. Il a fallu pousser les cadavres de nos camarades dans la rivière pour pouvoir avancer contre la mitraille. Jamais je n’ai connu un feu pareil, autant de morts et de blessés. Comment sommes-nous passés à travers ? Nous avons pu établir une position dans les premières maisons. C’est là que Roger à été blessé, d’une balle qui lui a fracassé la cuisse. Mais la blessure était saine, et Michel l’a mis à l’abri dans une maison avant de me rejoindre. Nous tenions la ville, mais les autrichiens ont contre-attaqué. On ne savait plus trop qui tirait sur qui. J’ai vu un lieutenant que nous admirions tous pour son engagement pris entre deux feux, tomber d’une balle dans le dos. J’ai vu le colonel Cardeneau tomber, Landy blessé, son cheval tué sous lui. Notre artillerie nous a soutenu, au prix d’un incendie que personne ne songeait à combattre. Nous sommes remontés à l’assaut et c’est là que j’ai perdu Michel de vue. Toute la nuit, et le lendemain, la situation a été incertaine et ce n’est qu’à la fin du jour que j’ai pu revenir vers la basse ville chercher Roger. Des heures durant, nous avions entendu les hurlements des blessés, pris au piège des maisons en flammes. La ville était jonchée de cadavres à moitié brûlés, c’était insoutenable. Epuisé, j’ai préféré m’endormir le ventre vide sous un escalier intact, plutôt que de rejoindre les gars de la confédération du Rhin qui avaient dressé une marmite abritée du vent par un mur de corps.
Lorsque le jour s’est levé, je suis reparti. La maison où nous avions laissé Roger était presque intacte, mais personne ne l’avait vu. La colère et l’angoisse me gagnaient, je suis sorti furieux.
Une voiture avançait doucement, les entrailles des cadavres qu’elle ne pouvait éviter jaillissant sous ses roues. C’est là que j’ai croisé le regard de ce commissaire aux armées. Ce regard courroucé qui tranchait sur un visage blafard de nausée. Que contemplait-il là ? Le décompte à faire des chevaux tués, canons détruits, armes abandonnées… ?  L’un de ces intrigants qui seuls pouvaient profiter de l’armée. Et puis, j’entends qu’on appelle, « Henri ! ». Le commissaire se retourne. Je suis son regard. D’abord, je ne comprends pas, puis je le vois, à dix pas de moi. Roger qui s’appuie sur son fusil. Il sourit, mais son regard est abattu, presque désorienté. La voiture repart. Une maison s’effondre non loin. Nous sommes curieusement seuls dans ce champ de ruines. Et dans la puanteur des corps brûlés, le parfum d’une fleur perdue, comme une espérance.

(Les stendhaliens pur et durs me pardonneront certaines approximations dans la reconstruction d'événements existant et ayant existé, et la mise en scène peu flatteuse de leur écrivain favori).

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MC Jaume
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